Tiré du site À l’encontre (30 juin 2010)
L’Arabie Saoudite du lithium ?
Justifier l’occupation
Paul Fitzgerald et Elisabeth Gould *
Il semble que l’Afghanistan soit une source inépuisable de surprises. Durant des décennies, l’administration états-unienne défendait la position selon laquelle l’Afghanistan ne possédait aucune valeur pouvant intéresser les Etats-Unis, surtout en matière de ressources stratégiques vitales. Cette supposition était la raison principale pour l’attitude méprisante qu’ils ont affichée à l’égard de l’Afghanistan jusqu’à l’invasion soviétique de 1979.
Elle expliquait également pourquoi, après le départ des soviétiques [invasion en décembre 1919 ; départ en février 1919], les Etats-Unis se sont contentés de céder le pays aux intérêts pakistanais et saoudiens. Puis, tout à coup, le 13 juin 2010, le New York Times a consacré sa première à un article décrivant comment une petite équipe d’officiels du Pentagone et de géologues états-uniens avaient subitement découvert un vaste trésor de richesse minérale d’Afghanistan, d’une valeur de presque mille milliards de dollars.
Pourtant l’histoire des richesses minérales de l’Afghanistan n’est pas nouvelle. Et le Pentagone n’a pas subitement « découvert » ces gisements. Selon un reportage de Reuters en date du 16 mars 2009, c’est-à-dire il y a plus d’une année, le ministre afghan des Mines, Mohammed Ibrahim Adel, affirmait, en citant le Geological Survey Data (rapport sur des données topographiques géologiques) états-unien, qu’ « en matière de gisements, l’Afghanistan est le pays le plus riche de la région, de très loin, cent fois plus riche. » Même l’article du New York Times admet que les informations topographiques sur lesquelles repose l’évaluation du Pentagone provenaient d’informations rassemblées il y a presque 30 ans par des experts d’exploitation minière soviétiques.
Des géologues américains en ont pris conscience en 2004, mais les informations sont restées dans un tiroir jusqu’en 2009. Toutefois, le passage le plus révélateur cité du rapport du Pentagone ne concerne pas tellement le fait que l’Afghanistan contient effectivement de vastes ressources minérales, ni même que les Etats-Unis ont négligé cette vaste source de richesse dans une nation appauvrie. Non, la clé pour comprendre le rapport se trouve dans la citation selon laquelle « L’Afghanistan pourrait devenir ’l’Arabie Saoudite’ du lithium ». Et c’est dans cette référence à l’Arabie Saoudite que se trouve la véritable histoire derrière les gros titres. Ce n’est pas la première fois que l’Arabie Saoudite a été utilisée en tant que modèle pour l’avenir de l’Afghanistan. On pourrait même dire que l’Afghanistan actuel et son fléau taliban portent déjà le sceau « made in Arabie Saoudite ».
Selon l’ouvrage de Gerald Posner « Secrets of the Kingdom.The Inside Story of the Scret Saudi-US Connection » (Random House, 2005), la guerre afghane contre les Soviétiques a été une aubaine aussi bien pour la famille royale d’Arabie Saoudite que pour les islamistes afghans. « Certains dignitaires saoudiens comme le prince Bandar, ainsi que son père, le Prince Sultan, Ministre de la défense saoudien, ont considéré que l’agression soviétique présentait une opportunité de resserrer les liens avec Washington. Ils ont expliqué aux autres ministres saoudiens que c’était l’occasion rêvée de remplacer Israël en tant que partenaire stratégique des Etats-Unis au Moyen-Orient. Et en ce qui concerne les états-uniens, les Saoudiens étaient tout à coup devenus une vache à lait. »
Ni le terme « taliban », ni le mouvement portant ce nom n’ont fait parler d’eux en Afghanistan jusqu’en 1944. Avant l’invasion soviétique, la mentalité talibane et la structure des madrassas [écoles coraniques] n’existaient pas. Même après que les renseignements militaires pakistanais les aient inventés, avec de l’aide extérieure, les Talibans n’ont pas été recrutés en Afghanistan, mais dans les madrassas pakistanaises. Ce processus a été créé non pas par les Afghans, mais par l’Arabie Saoudite et d’autres pays arabes qui continuent à poursuivre l’objectif à long terme d’une transformation politique et religieuse de l’Asie du Sud de pair avec la dissolution de l’Afghanistan en tant qu’Etat-nation.
La version talibane de l’Islam Deobandi pratiquée au Pakistan et le Wahabbisme pratiqué en Arabie Saoudite sont tous les deux étrangers aux pratiques afghanes. Les attentats suicide n’existaient pas en Afghanistan à l’époque de l’occupation soviétique, pas plus que lorsque les Talibans ont pris le contrôle d’une grande partie du pays en 1996. Le peuple afghan n’a jamais adopté volontairement un Islam extrémiste. Ces conceptions leur ont été imposées par des circonstances hors de leur contrôle.
Depuis le début, les Etats-Unis n’avaient réellement aucune idée de ce qu’ils pouvaient faire en Afghanistan, à part suivre la direction des Saoudiens, avec quelques diplomates américains qui imaginaient benoîtement qu’une victoire talibane transformerait simplement l’Afghanistan en une Arabie Saoudite miniature. Dans son ouvrage « Taliban », le journaliste pakistanais Ahmed Rashid cite un diplomate qui expliquait : « Les Talibans vont probablement se développer comme l’ont fait les saoudiens. Il y aira des pipelines d’Aramco, un émir, pas de Parlement et beaucoup de lois de la Sharia. On peut vivre avec cela . » [voir en langue française : Le retour des talibans, 2009, Ed. Delavilla et L’ombre des talibans, 2001, Editions Autrement]
L’administration Obama n’a pas grand-chose de positif à rapporter au peuple américain sur l’Afghanistan. De nouvelles révélations arrivent quotidiennement sur la désespérante corruption du gouvernement. Le président de l’Afghanistan Hamid Karzai est en conflit ouvert avec Washington sur beaucoup de questions. Non seulement la reconstruction est au point mort, et la guerre en voie échouer, mais jusqu’ici l’application de la contre-insurrection (COIN) par le Général McChrystal [spécialiste de la stratégie contre-insurectionnelle, ce dernier a été remplacé le 23 juin 2010 par Obama, suite à ses remarques acides sur la stratégie du pouvoir politique de l’administration, par le général Petraeus, son supérieur, déjà actif en Irak] a lamentablement échoué [1]. L’assaut annoncé contre Marjah et l’établissement d’un contrôle gouvernemental sont arrivés au point mort. Selon le Washington Post, l’échec de Marjah a fait que l’assaut d’été de Kandahar a été reporté indéfiniment et menace les projets de l’administration Obama pour un retrait des troupes états-uniennes fixé en juillet 2011.
Donc, sans raison rationnelle de rester en Afghanistan et aucun moyen de justifier des milliards de dollars et de vies américaines supplémentaires, Washington a finalement admis l’existence d’intérêts miniers. Pourtant, même au moment où l’administration Obama récupère une nouvelle raison de rester en Afghanistan après le délai de 2011, il apparaît que la vieille motivation de transformer l’Afghanistan en une Arabie Saoudite Centrale reste la véritable motivation qui sous-tend la guerre états-unienne. (traduction A l’Encontre)
* Paul Fitzgerald et Elisabeth Gould sont les auteurs de Invisible History : Afghanistan Untold Story, publié par City Lights (2009)
1. Selon un article informé du quotidien anglais The Independent, publié le 27 juin 2010, McChrystal, dans un rapport fait devant des responsables de l’OTAN – avant l’entretien publié dans le magazine Rolling Stone – soulignait la corruption du pouvoir de Karzaï (ce qui n’est pas une découverte) et sa faiblesse énorme, mais surtout les limites fort grandes du contrôle de diverses régions. Sur la base d’une telle appréciation, la date de retrait de juillet 2011, fixée par Obama, apparaissait fantaisiste. Une période de cinq ans semblait « plus réaliste ». Actuellement, quelque 100’000 soldats de l’armée états-unienne sont présents en Afghanistan. Ce rapport – bien plus que l’entretien « irrespectueux » pour diverses « têtes » de l’administration accordé à Rolling Stone – est à l’origine de son renvoi par Obama, renvoi déguisé en démission. Le général David Petraeus, son successeur, a surtout réussi à transformer, du point de vue de la communication, un « retrait » partiel de l’Irak en une victoire. Ce changement ne va changer la politique des militaires en Afghanistan. L’administration Obama s’enfonce dans le bourbier afghan ; sa rhétorique ne modifiera pas ce fait. (Réd.)
(30 juin 2010)