Union des forces progressistes
TRIBUNE LIBRE
Saguenay, le vendredi 16 août 2002
Le Secrétariat aux affaires autochtones du Gouvernement du Québec a rendu public le document intitulé Approche commune, qui avait été convenu entre les ministres responsables des gouvernements du Québec et du Canada et les chefs des trois communautés Innus (Mashteuiatsh, Betsiamites et Essipit) regroupées au sein du Conseil tribal Mamuitun. Ce document vise à préciser les éléments qui serviront de base à une éventuelle entente de principe favorisant une coexistence harmonieuse et débouchant sur une nouvelle génération de traités. Cette entente de principe devrait préciser :
– les droits des Innus (chasse, pêche, participation à la gestion des ressources naturelles et redevances, sites patrimoniaux et parcs de conservation) ;
– les limites territoriales (plus ou moins le double de la superficie des réserves actuelles) ;
– le principe de l’Autonomie gouvernementale (lois, programmes et services, fiscalité) ;
– des arrangements financiers permettant un rattrapage et une autonomie ;
– des mesures favorisant le développement économique des nations autochtones.
Certains groupes de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean ont exprimé leurs critiques sur ce document, notamment la Société du 14 juillet et plus récemment la Fondation Équité territoriale. Au printemps dernier, les fonctionnaires responsables de ce dossier ont été mal reçus à Chicoutimi lors d’une soirée d’information qui a dû être interrompue. Les élus, dont l’absence a été remarquée, ont été accusés de fuir la population régionale, de la priver d’information et d’agir en secret dans son dos. Ces derniers jours, la sortie du député du Bloc Québécois, M. Ghislain Lebel, contre l’Approche commune, a ravivé un débat qui malheureusement reste au niveau jugements préconçus et frôle parfois la démagogie. Invité à l’émission Le point de Radio-canada, le député n’a pas donné d’information au journaliste Stéphane Bureau, ce dernier étant plutôt intéressé à la question de la dissidence au sein du Bloc qu’à éclairer le débat. En fait, l’absence d’information est l’une des raisons de ce dérapage. Au moment où le gouvernement du Québec a décidé, sur le tard, d’effectuer des tournées d’information et de consulter la population, l’on avait déjà assisté à une levée des boucliers.
Les enjeux en présence
D’un côté, il y a les droits des Nations autochtones ancestraux ou issus de traités que divers jugements de la Cour suprême (dont l’arrêt Delgamuukw sur les droits de pêche, chasse et cueillette des Micmacs) et que la Constitution canadienne de 1982 reconnaît (art. 35). Ces droits constitutionnels ont avantage, de l’avis des tribunaux et de nombreux observateurs politiques, à être négociés par accord, plutôt que déterminés par le litige ou la confrontation. Ajoutons que le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, déposé en 1996, qui recommande entre autres le principe de l’autonomie gouvernementale, est généralement bien perçu par les nations autochtones et de larges couches de la population canadienne et québécoise.
D’un autre côté, il y a la nation québécoise prise dans son ensemble, qui elle n’est pas reconnue par la Constitution canadienne. On se rappellera que l’Assemblée nationale avait rejeté à l’unanimité cette constitution qui ne tenait pas compte des spécificités du peuple québécois. Ce qui n’a pas empêché cette même Assemblée, sous l’impulsion du Premier ministre René Lévesque, de reconnaître onze nations autochtones sur le territoire du Québec.
Enfin, il y a les populations régionales du Québec, qui souffrent d’un déficit démographique, d’un sous-financement et d’une mal-répartition des ressources, (notamment en santé et en éducation), d’un accroissement du chômage et de la pauvreté, qui composent le dramatique cortège de la désintégration des régions. Ces populations réclament des paliers supérieur de gouvernement des moyens efficaces leur permettant de tirer un meilleur parti de l’exploitation de leurs ressources naturelles et une grande maîtrise de leur développement économique et social.
Des questions étroitement reliées
Sur les rapports entre la question nationale québécoise, la question autochtone et la question régionale, la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, mise sur pied par le Premier ministre Jacques Parizeau affirmait en 1994 :
– "quelque soit le statut politique du Québec, la pauvreté en milieu urbain et dans les régions périphériques, parfois moins prospères, est un problème fondamental incontournable ;
– les régions réclament les moyens, soit davantage d’autorité et de ressources, en même temps que la réorganisation de diverses structures, leur permettant de participer pleinement à leur développement ;
– les questions qui intéressent les nations autochtone doivent être traitées dès maintenant, notamment est-il urgent de concrétiser l’autonomie gouvernementale. Enfin, cette situation ne saurait être prolongée indûment dans l’attente d’une réponse définitive à la question de l’avenir politique et constitutionnel du Québec".
Dans un article d’une série sur le thème Penser la nation québécoise, du Devoir du 24 juillet 1999, le sociologue Denys Delâge remarquait avec justesse qu’ "au lieu de reproduire le modèle canadien qui lui a été imposé, le Québec devrait réaliser sur son territoire le projet qu’il a si longtemps tenté de faire accepter pour le Canada". En ce sens, le projet d’entente de l’Approche commune est, de l’avis de Michel Seymour, de l’UdeM, "un accord raisonnable et juste" (le Devoir, 14 août 2002). Nous ne discuterons pas ici en détail les termes de l’approche commune que la population aura enfin l’occasion de débattre dans les prochains mois dans un esprit plus serein espérons-le. Nous choisissons pour le moment de situer le cadre politique et constitutionnel auquel il ne saurait cependant échapper.
Responsabilité gouvernementale
Bien que l’on doive saluer la qualité du travail accompli depuis 20 ans par les équipes de négociation des trois parties, et plus particulièrement l’ouverture du gouvernement du Québec à l’endroit des Innus, il est cependant déplorable :
– que le gouvernement québécois ainsi que les députés régionaux en particuliers, n’aient pas informé et impliqué les populations régionales dans le processus de négociation, ce qui a de notre avis grandement contribué à alimenter les spéculations les plus catastrophiques ;
– que le gouvernement du Québec ait négligé l’importance de la question régionale au Québec, en reportant aux calendres grecques (après la souveraineté peut-être) le projet de décentralisation que le parti gouvernemental a pourtant déjà caressé, lui réservant ainsi le même sort que celui fait à la réforme du mode de scrutin dont le caucus péquiste a privé le Premier ministre René Lévesque en 1983.
Une solution globale pour sortir de la confusion
Maintenant que des voix s’élèvent pour dénoncer l’approche commune, nous estimons que le gouvernement québécois est responsable de la confusion actuelle qui risque, à cause de sa négligence, de compromettre un projet juste et équitable du point de vue des deux nations, Québécoise et Innue, qui cohabitent sur un même territoire régional. Car un argument souvent invoqué est celui de trouver inconcevable d’accorder l’autonomie gouvernementale à une petite communauté Innue pendant que l’ensemble de la population régionale voit sa région se désintégrer sans aucun levier politique et économique pour y remédier. Nous considérons que les réserves de certains intervenants régionaux envers l’approche commune viennent en effet pour une grande part des frustrations légitimes ressenties à propos de la question régionale à laquelle le gouvernement ne s’est pas jusqu’ici adressé adéquatement. Ce qui donne l’impression aux uns qu’ils font les frais de la solution offerte aux autres, ou du moins d’être en reste. Bien que l’autonomie gouvernementale d’une nation ne soit pas du même niveau que celui d’un gouvernement régional éventuel, il demeure qu’il conviendrait, en termes clairs, de régler les problèmes dans leur globalité.
Il est plus que temps de rechercher des ententes et des solutions qui soient justes et équitables pour tous et toutes. Le gouvernement du Québec doit rassurer les populations régionales non seulement sur les termes de l’approche commune, mais aussi et surtout par une véritable politique de développement régional de nature à permettre aux populations des régions une maîtrise effective de leur développement économique et social. La survie des régions, et donc du Québec, en dépend. Le partenariat avec les nations autochtones n’en sera que facilité.
L’Union des Forces Progressistes favorise pour sa part :
– La mise en place de structures électives régionales favorisant la maîtrise politique et économique des communautés sur leur propre développement ;
– Le soutien accru et efficace au développement économique des régions, notamment par des redevances sur la gestion des ressources naturelles et l’instauration d’une péréquation et le développement de chantiers coopératifs ;
– La reconnaissance du droit à la libre autodétermination des nations autochtones ;
– Une alliance entre les Premières nations et la nation québécoise sur la base de traités égaux et réciproquement avantageux, assortis d’une aide concrète visant à harmoniser les rapports entre elles.
Union des forces progressistes
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