Tiré du site Europe Solidaire sans Frontières
21 février 2010
La guerre d’Afghanistan plonge l’État pakistanais dans l’instabilité et met à nu sa fragilité. Le Pakistan survivra-t-il à l’épreuve de la guerre d’Afghanistan ? Si la question peut se poser, c’est que pour l’essentiel la crise actuelle n’est pas conjoncturelle. Les fondements mêmes de l’État pakistanais, créé en 1947, s’avèrent inconsistants.
Pour exiger la partition de l’empire britannique des Indes, au moment de l’accession à l’indépendance, les promoteurs du Pakistan ont invoqué la théorie des « deux nations », identifiées à deux religions : islam et hindouisme. La partition a eu lieu au prix de terribles massacres et de gigantesques déplacements de populations. Le nouvel État indien a refusé la logique religieuse, se définissant laïque et continuant à abriter une importante minorité musulmane. À l’inverse, l’État pakistanais – construction géographique artificielle – a recherché dans l’identité religieuse le ciment de son unité. Ce projet a radicalement échoué.
Premier échec historique : la guerre de 1971. Le Pakistan des origines était composé de deux parties séparées par toute la largeur de l’Inde. L’État était sous le contrôle des élites penjâbis à l’ouest qui ont refusé tout partage du pouvoir, provoquant la révolte des bengalis à l’est. Le pays s’est brisé dans un sanglant conflit, donnant naissance au Pakistan actuel et au Bengladesh.
Deuxième échec historique : les conséquences de l’islamisation. De musulman, l’État pakistanais est progressivement devenu islamiste, les lois étant soumises aux exigences des autorités religieuses, de la sharia. Les minorités, notamment chrétiennes, vivent dans une grande insécurité, et les laïques subissent des pressions croissantes.
Au sein même de la référence musulmane, l’islamisation a ouvert une véritable guerre de religion opposant des sectes armées sunnites et chiites, nourrissant la montée de l’intolérance fondamentaliste, le tout conforté par l’Arabie saoudite et le wahhabisme.
Troisième échec historique : l’appel à l’unité des musulmans n’a pas amoindri les tensions nationales et régionales. Le Pakistan est un puzzle où les élites penjâbis occupent une position de force (administration, armée). Aucune fraction des classes dominantes n’a présenté de projet fédéral commun au Nord-Ouest pachtoun, au Baloutchistan, au Sind, au Pendjab… Le pays reste une poudrière.
Quatrième échec historique : la guerre d’Afghanistan. Pendant plusieurs décennies, la question irrésolue du Cachemire aidant, l’Inde a joué le rôle d’ennemi héréditaire. Aujourd’hui, la frontière « chaude » se trouve à l’ouest et oppose d’anciens alliés (les talibans sont une création des services spéciaux pakistanais). À nouveau, musulmans contre musulmans. Autant le conflit avec l’Inde offrait une légitimité nationaliste à l’État pakistanais, autant la guerre afghane le mine. L’identification « nation » et « religion » a été un facteur de division et non d’unification.
Ainsi, l’État pakistanais apparaît aujourd’hui comme un maillon faible alors qu’il occupe une place décisive dans des tensions géopolitiques qui vont de l’Asie centrale au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud. Washington s’en inquiète. Cependant, l’impérialisme états-unien, par son intervention en Afghanistan et son rapprochement avec l’Inde, contribue lui-même à déstabiliser le Pakistan.
Dans une partie du monde marquée par le face-à-face nucléaire indo-pakistanais, les États-Unis jouent le rôle de l’apprenti-sorcier.
Pierre Rousset
ROUSSET Pierre
* A paraître dans Hebdo TEAN # 4 (25/02/10).