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L’Inde est-elle épargnée par la récession mondiale ?

mercredi 8 avril 2009, par Sushovan Dhar

Il était une fois un roi qui demanda à tous les sages de son royaume de faire le tour du monde pour découvrir la vérité éternelle. Ils revinrent quelques années plus tard et dirent au roi qu’ils l’avaient trouvée. Elle tenait dans ces mots : « Et cela aussi passera ». Après la chute de l’Union Soviétique et des régimes de l’Europe de l’Est, Francis Fukuyama, dans sa Fin de l’Histoire affirmait que le capitalisme avait vaincu le communisme, et qu’il allait désormais être, et pour toujours, la seule voie possible. Néanmoins, deux décennies plus tard, cette version états-unienne d’un capitalisme triomphant vacille.


Publié dans la revue Les Autres Voix de la Planète,
Tiré du site du CADTM, 1er trimestre 2009


Quand les sirènes de la croissance déchantent

Après avoir prétendu que le krach financier mondial n’affecterait pas l’Inde, on admet désormais que le pays est touché et que les effets de la crise vont s’intensifier. Le pays connaît une soudaine agitation ; on s’affaire à évaluer les dégâts et à trouver le moyen de contrer le virus financier qui s’étend rapidement à toute la planète. Il y a un an, obsédés par le phénomène de forte « croissance », le gouvernement, les industriels, les médias et tous leurs laquais se demandaient si la crise des subprimes, qui avait éclaté à l’été 2007 aux Etats-Unis, allait se propager à l’Inde. Ils mettaient en avant le fait que l’Inde n’avait pas investi massivement dans les prêts hypothécaires subprime états-uniens, et que les institutions de crédits subprime, piggy-back |1| , no-doc |2| et de titrisation des crédits hypothécaires n’étaient pas fortement développées dans le pays. De plus, la Reserve Bank of India |3| n’avait pas suivi la politique de la réserve fédérale états-unienne qui consistait à ramener les taux d’intérêt à des niveaux proches de zéro. Aujourd’hui, après l’énorme effondrement financier de septembre 2008 aux Etats-Unis, nous savons que l’Inde a été frappée par la crise. La hausse de la bourse indienne, qui semblait n’avoir pas de limite, s’est arrêtée net. Début 2008, le Sensex |4| avait atteint jusqu’a 8 fois sa valeur de 2003 ; il a maintenant chuté de plus de 60%, tel un château de cartes.

Dès le mois d’avril 2008, on avait sonné l’alarme, mais l’obsession pour la croissance économique et la confiance démesurée qui lui était associée ont amené les gens à croire que le futur ne serait fait que de taux de croissance, et donc de profits, toujours plus élevés. Par ailleurs, les théories ou mythes du « découplage |5| », désormais tristement célèbres, étaient alors couramment avancés. Cela a conduit chacun à ignorer la crise, convaincu que le pays était invulnérable. Une attitude qui paraît quelque peu naïve eu égard à l’ampleur du désastre.

Le commerce extérieur : vecteur de propagation de la crise

L’Inde est peut-être l’une des économies les moins ouvertes d’Asie mais le commerce extérieur représente quand même plus de 40% de son PIB. En janvier 2008, les investissements nets des investisseurs institutionnels étrangers sur les marchés financiers indiens s’élevaient à 65 milliards de dollars. Sur les 4 dernières années, l’Inde a reçu 50 milliards de dollars au titre des investissements directs à l’étranger. Le 23 octobre dernier, lorsque les investisseurs institutionnels étrangers ont retiré plus 10 milliards de dollars, la roupie a plongé à 49,79 pour 1 dollar, contre moins de 39 roupies pour un dollar il y a un an. La croissance du PIB a commencé à ralentir et il est devenu évident que les prévisions d’une croissance à 9% n’étaient pas tenables. Les estimations de croissance annuelle du PIB ont donc été revues à la baisse, de 9% à 7,5%. Lors du second trimestre 2008, la croissance était de 7,9%, contre 9,2% lors du second trimestre 2007. Rappelons que nous laissons ici de côté certaines questions cruciales, par exemple celles de savoir si la croissance mène automatiquement à un développement social équitable, si elle contient en elle-même des mécanismes pour résoudre les problèmes d’inégalités sociales, ou si un modèle économique basé sur l’augmentation de la productivité n’exacerbe pas les inégalités déjà existantes et s’il ne polarise pas la société au lieu de s’attaquer à la question de justice sociale.
Le ralentissement s’est généralisé. La croissance industrielle est beaucoup plus lente et cela a occasionné plus de 65.000 pertes d’emplois entre août et octobre |6| . Le Secrétaire au Commerce du gouvernement indien a quant à lui déclaré que, selon une estimation du ministère du textile, 500.000 travailleurs de ce secteur pourraient perdre leur emploi d’ici à mars 2009.

Habituellement, l’impact d’une crise mondiale sur les institutions financières, les marchés de capitaux et les services financiers est immédiat et extrêmement visible. Certains secteurs de l’économie réelle, tels que les exportations, sont affectés de manière progressive, les effets ne devenant visibles que quelques mois plus tard. Pourtant, dès le mois d’octobre, et pour la première fois en 5 ans, les exportations indiennes enregistraient une baisse ; les ventes vers l’étranger sont tombées à 12,8 milliards de dollars, soit 12% de moins que les 14,6 milliards enregistrés en octobre 2007. Il est peu probable que l’objectif de 200 milliards de dollars d’exportations soit atteint pour l’exercice 2008, et un ralentissement de la croissance des exportations ne sera pas sans conséquence. Il est important de noter que la contribution des exportations de marchandises au PIB a augmenté de manière constante sur les 6 dernières années, d’environ 10% du PIB en 2002/2003 à quasiment 17% en 2007/2008. Si l’on inclut les exportations de services, le pourcentage monte encore. C’est pourquoi tout ralentissement de l’économie globale affectera l’Inde. Une baisse des exportations aura également d’autres implications pour l’économie. Près de 50% des exportations indiennes (textile, vêtements, pierres précieuses et bijoux, cuir, etc.) proviennent de petites et moyennes entreprises intensives en main d’oeuvre. Une forte chute de la croissance des exportations pourrait entraîner de nombreux problèmes de solvabilité pour les PME, et signifier des pertes d’emplois dans ce secteur. Les exportateurs ont vu leur carnet de commandes diminuer de 3,6 millions de dollars, en raison du ralentissement du commerce mondial et d’une demande en baisse sur les marchés états-unien et européen, les principales destinations des produits indiens. Une étude, réalisée par l’Apparel Export Promotion Council, un organisme financé par le ministère du textile, indiquait que plus de 9.000 travailleurs du textile employés dans des usines d’exportation avaient perdu leur travail en raison du ralentissement observé dans les économies des pays développés.

Le spectre de la crise de 1991 |7| plane sur l’économie indienne

Dans le même temps, les réserves de change, qui avaient atteint un pic de 316 milliards de dollars, ont décliné avec la fuite des capitaux. Les réserves de change actuelles - 251 milliards de dollars - peuvent couvrir 10 mois d’importations, si l’on se réfère aux estimations pour l’année 2009. Il faut se rappeler que la totalité de la dette externe de l’Inde s’élève à 221 milliards de dollars, dont 89 de dette à court terme arrivant à échéance d’ici à juin 2009. Le gouvernement prétend que les réserves du pays suffiront si, dans un contexte global de diminution des liquidités, l’Etat rencontre des difficultés pour reconduire une partie de cette dette à court terme. Cependant les discussions sur la nécessité d’augmenter les réserves en dollars ont jeté une ombre sur l’avenir des réserves et leur impact sur l’économie. Cela nous amène à nous interroger sur la vulnérabilité de l’économie, sur l’importance de ressources en dollars pour soutenir l’économie et sur les moyens de trouver de telles ressources. Bien que pour le moment l’option de l’emprunt souverain semble être écartée par le gouvernement, il reste difficile de prédire s’il persistera dans cette voie.

Une croissance économique rapide, la libéralisation des importations et l’augmentation du prix de pétrole en 2007/2008 ont eu pour conséquence un déficit de la balance commerciale dépassant 80 milliards de dollars, et les prévisions pour cette année vont jusqu’à 100 milliards. Les services et les invisibles ayant jusque là aidé à modérer le déficit des opérations courantes |8| , la baisse des exportations de services est inquiétante. Il serait toutefois problématique de combler le déficit par l’entrée de capitaux à court terme, ou par l’emprunt d’énormes sommes d’argent sur les marchés de capitaux internationaux. Cela pourrait constituer un facteur d’instabilité et pousser l’Inde dans un piège de la dette : une situation où le scénario de 1991 serait susceptible de se répéter.

La balance courante pour le second trimestre 2008 montre un déficit de 10,7 milliards de dollars. C’est le plus haut déficit trimestriel de la balance courante enregistré depuis que les chiffres trimestriels sont disponibles (1990). La crise de 1991 fut le résultat de l’incapacité à financer ce déficit. Alors, quel tableau pouvons-nous dresser ? Récemment, les importations de biens ont grimpé, principalement à cause des prix élevés du pétrole. Un déficit commercial croissant a jusqu’à maintenant été compensé par une augmentation des revenus issus des services (logiciels). Si ces revenus s’avèrent inférieurs au déficit commercial, il y aura un déficit des opérations courantes, qui sera financé par des flux de capitaux (IDE, Investisseurs institutionnels étrangers etc.) venant de l’étranger. Au second trimestre 2008, le déficit commercial était de 31,6 milliards de dollars tandis que le revenu net sur les services s’élevait à 20,9 milliards, entraînant un déficit des opérations courantes de 10,7 milliards de dollars. Les capitaux entrants atteignaient 12,9 milliards de dollars, ce qui donne donc un excédent total de 2,2 milliards de dollars.

Les inquiétudes portent sur le financement de nouveaux déficits. En Inde, le déficit croissant de la balance courante a jusqu’à présent toujours été financé par une entrée massive de capitaux. Mais compte tenu de la crise mondiale actuelle, les choses devraient changer. Premièrement, la tension sur les prix du pétrole devrait continuer. Deuxièmement, les exportations de logiciels devraient baisser suite aux faillites de plusieurs entreprises financières étrangères. L’industrie indienne du logiciel tire la majorité de ses revenus du secteur financier étranger, dont l’activité est clairement en train de se contracter. Troisièmement, à cause de la récession mondiale, les flux entrants de capitaux devraient également diminuer. Quatrièmement, on prévoit aussi une baisse des exportations de biens, puisque la demande des autres économies faiblit. Ainsi, le spectre de 1991 planera tant que les conditions ci-dessus continueront de prévaloir, et une nouvelle crise de la dette ne peut être totalement exclue.

La crise touchera également sévèrement les salariés, à travers la baisse des salaires réels, l’augmentation de la charge de travail, et une précarisation croissante du travail. Tout cela aura pour conséquence la détérioration de la sécurité de l’emploi et des conditions de travail. Ce processus a déjà commencé et l’avenir ne s’annonce pas des plus roses.

Traduit par Sylvain Dropsy et Stéphanie Jacquemont

Publié dans la revue Les Autres Voix de la Planète, CADTM, 1er trimestre 2009

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Notes de bas de page :

|1| Les ménages ne pouvant réaliser l’apport nécessaire pour l’achat d’une maison doivent normalement payer une assurance. Pour financer une partie de cet apport et diminuer le coût de l’assurance, les crédits hypothécaires piggyback viennent s’ajouter à un premier prêt hypothécaire. Les taux de ces seconds prêts, plus risqués pour les prêteurs, sont généralement plus élevés.

|2| Pour ces prêts, on ne demande à l’emprunteur que peu ou pas de justificatifs de ses revenus ou des crédits déjà contractés.

|3| La Reserve Bank of India est la banque centrale de l’Inde, fondée le 1er avril 1935. Bien qu’elle fût à l’origine privée, elle est depuis 1949 totalement nationalisée.

|4| Le BSE Sensex (Bombay Stock Exchange Sensitive Index) est un indice de valeur, créé en avril 1984. Il est constitué des 30 plus grandes valeurs de différents secteurs. Ces entreprises représentent environ un cinquième de la capitalisation du marché boursier de Bombay.

|5| Selon la théorie du “découplage”, les Etats-Unis et le reste du monde seraient désormais découplés et par conséquent, le taux de croissance des Etats-Unis pourrait diverger très fortement de celui du reste du monde.

|6| The Economic Times, le 3 décembre 2008.

|7| En 1991, l’Inde connut une grave crise financière qui l’amena au bord de la faillite. La défiance des investisseurs se traduisit par une fuite massive des capitaux, et un creusement du déficit de la balance des paiements. En juin, les réserves s’étaient réduites au point de ne pouvoir couvrir que 10 jours d’importations. Le FMI prêta à L’Etat pour maintenir sa solvabilité, mais cette intervention fut conditionnée à la mise en place de mesures macro-économiques et de réformes structurelles telles que l’ouverture aux investissements étrangers, la libéralisation du commerce extérieur, le recul de l’intervention de l’Etat dans l’économie, la réduction des dépenses sociales etc.

|8| La balance des opérations courantes montre la position d’une économie en matière de commerce extérieur. Elle comprend deux sous-comptes : les importations/exportations de biens, et les importations/exportations d’invisibles. Les invisibles comprennent les services, les revenus et transferts courants.