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Il y a vingt ans : Le massacre de la place Tian’anmen

dimanche 14 juin 2009, par Pierre Rousset

Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, l’armée chinoise entrait dans Pékin pour écraser une vaste mobilisation démocratique.


*Paru dans « Tout est à nous » n°9 du 21 mai 2009.
Hebdomadaire du Nouveau Parti Anticapitaliste (France)


Un homme debout devant une colonne de chars comme immobilisée par sa détermination. La solitude d’un citoyen face à un Etat et son armée. L’instantané, saisi par Stuart Franklin (Magnum Photos), a fait le tour du monde au point de devenir le symbole international du Mouvement du 4 juin et de sa répression sanglante. [1] Voilà vingt ans. L’impact durable de cette image souligne l’ampleur du choc provoqué dans le monde par les événements du printemps 1989. Mais une épure photographique ne peut rendre compte seule d’un moment historique complexes où se sont nouées mobilisations de rue et luttes d’appareil ; où étudiants et ouvriers se sont retrouvés côte à côte sans vraiment se rejoindre ; où l’avenir s’est joué au sein du parti dirigeant derrière un théâtre d’ombres.

A sa mort, le 15 avril 1989, Hu Yaobang – ancien secrétaire général du PCC réputé réformateur et mis à l’écart deux ans plus tôt par l’aile « conservatrice » du bureau politique – est salué sur les campus de Pékin comme un héro du combat contre l’autoritarisme et la corruption. Six jours plus tard, par dizaines de milliers les étudiants de la capitale entrent en grève contre de difficiles conditions de vie, pour la démocratie et la réhabilitation de Hu. Le 22 avril, à l’occasion de ses funérailles, quelque soixante-dix milles étudiants et trente milles travailleurs se retrouvent place Tian’anmen et reçoivent le soutien de nombreux éditorialistes dans la presse.

Le 26 avril, dans un éditorial du Quotidien du Peuple, Deng Xiaoping, principal dirigeant du Parti, dénonce les manifestants étudiants comme de la « chienlit » – le terme même (par-delà les aléas de la traduction) employé par le général De Gaulle en mai 68 contre les occupants du Quartier Latin. Comme en France, l’insulte ne fait que donner plus de vigueur encore à la mobilisation. Le mouvement s’étend : Shanghai, Wuhan, Canton, Xi’an, Chengdu... Des associations étudiantes indépendantes se forment, adoptant des modes de fonctionnement démocratiques. La Fédération autonome des travailleurs de Pékin voit le jour, avec environ vingt milles membres. Des commerçants et petits entrepreneurs s’engagent. Le 4 mai, ils sont cent mille a commencer l’occupation de la place Tian’anmen où un forum permanent attire les foules. Le 13 mai, deux ou trois milles étudiants entrent en grève de la faim. Des ouvriers arrivent en camions de leurs entreprises inquiets de l’inflation et du risque de chômage (mais ils se mêlent peu aux étudiants). Un à deux millions de Pékinois apportent leur soutien aux grévistes de la faim. Les étudiants saluent en Gorbatchev, le dirigeant russe en visite officielle, l’homme d’une libéralisation du communisme – un véritable camouflet pour Deng Xiaoping.

La direction du Parti est divisée. Zhao Ziyang, secrétaire général, affiche sa compréhension à l’égard des manifestants. Le 19 mai, il fait savoir aux grévistes de la faim qu’il a été battu et s’en excuse : « nous sommes venus trop tard et en sommes navrés. Nous méritons vos critiques. » (ses Mémoires posthumes viennent d’être publiée : Prisonnier de l’Etat). La loi martiale est déclarée dans les arrondissements centraux de Pékin mais les 20 et 21 mai, la foule empêche l’entrée en ville d’une armée qui tente encore de garder le beau rôle.

Privé de perspectives politiques par la défaite de Zhao Ziyang, le mouvement se poursuit mais se divise aussi... Puis le reflux s’amorce. Le pouvoir l’emporte mais décide néanmoins de faire un exemple : le massacre délibéré d’un rassemblement pacifique. Les soldats stationnés dans la capitale étant sous l’influence du mouvement, des troupes sont appelées des provinces périphériques. L’armée intervient. Elle tire à balles réelles sur les résidants et manifestants. Les chars détruisent les barricades et écrasent les tentes des derniers occupants de la place Tian’anmen (la plupart ont quitté les lieux). Environ deux mille cinq cent civils auraient été tués, ainsi que quelques dizaines de militaires. Une vaste campagne médiatique est orchestrée pour diaboliser le mouvement. Les arrestations se multiplient.

Zhao Zhiyang est destitué et sera de fait maintenu en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 2005. Il est remplacé par Jiang Zemin, alors maire de Shanghai. Deng Xiaoping triomphe. Mais la défaite du réformateur Zhao et la victoire apparente des « conservateurs » n’empêche pas la poursuite des réformes capitalistes. Simplement, elles s’opèrent « sous contrôle », dans un cadre autoritaire.

Le Mouvement du 4 Juin 1989 se réclamait du Mouvement du 4 Mai 1919 et de sa critique des incuries de l’Etat par la nouvelle intelligentsia radicale. Il prolonge d’autres mouvements de contestations démocratiques – aux débuts de la Révolution culturelle en 1966 ou une décennie plus tard en 1978. Il annonce aussi des résistances civiques et sociales à venir. Mais sa répression a provoqué une véritable rupture de continuité militante et son souvenir même est oblitéré par la chape de plomb étatique.

[1] Elle a été prise le lendemain du massacre, le 5 juin 1989.

*Paru dans « Tout est à nous » n°9 du 21 mai 2009.