Mercredi le 29 octobre dernier, le Parlement fédéral rejetait une motion du Bloc québécois reconnaissant le Québec comme une nation. Le lendemain, l’Assemblée nationale du Québec adoptait à l’unanimité une motion disant exactement l’inverse et qui reconnaissait le Québec comme une nation. Derrière ces escarmouches parlementaires, il y a plus, beaucoup plus. Il vaut la peine d’utiliser ce prétexte pour revenir sur cette question fondamentale, celle de l’identité nationale du Québec.
Au Québec, la démarche identitaire nationale est l’enjeu d’un combat entre l’État canadien qui aspire à devenir l’organisateur d’une nation canadienne et le mouvement souverainiste actuel.
L’État canadien a précédé la nation canadienne. Il la précède encore. La formation de la nation canadienne, structurellement inachevée, s’est basée sur la négation de la réalité nationale du Canada-français, (puis du Québec), des nations acadienne et aborigènes. L’oppression commence par cette dénégation de la réalité d’une nation ?
La nation canadienne-française, dont le Québec a été vu comme le berceau durant toute une époque, a été détruite par l’oppression nationale. Cette identité a explosé au profit de minorités francophones en Ontario et dans l’Ouest d’une part et la nation québécoise d’autre part. Mais l’oppression nationale a continué de faire son oeuvre au Canada, jusqu’à ce que la nation canadienne rejette explicitement le mythe des deux peuples fondateurs et réduisent les Canadiens français à celui d’un groupe culturel parmi d’autres dans la réalité multiculturelle de la mosaïque canadienne.
Les politiques du bilinguisme et du biculturalisme en 1969 visaient d’abord à nier l’existence de la nation québécoise distincte, à réduire cette nation au rang de simple composante culturelle et ethnique de la nation canadienne plus large ; à préserver et à justifier les privilèges de lia minorité anglophone au Québec et à intégrer une partie de la petite-bourgeoisie québécoise à l’État fédéral pour diminuer la croissance du nationalisme parmi ces couches- La politique du multiculturalisme (1971), le rapatriement de la constitution et l’enchâssement d’une charte canadienne des droits et libertés (1981-82) permettaient, en plus de nier, encore une fois, la réalité nationale du Québec.
Au Québec, ces politiques de la bourgeoisie canadienne qui visaient à contrer le développement du mouvement national québécois et à faire prévaloir l’identité canadienne par rapport à la nation québécoise ont connu un succès dans les sommets de la société et parmi les populations non francophones, car le discours définissant l’identité nationale, le nationalisme québécois, a été produit par un parti nationaliste bourgeois, le PQ qui n’a pas cherché de façon conséquente à lier ces secteurs de la population au projet national du Québec.
Le projet national définit la nation
L’identité nationale au Québec est une identité stratifiée. Elle est le produit l’oppression nationale et de la résistance à l’oppression. Depuis les années 60, une majorité des francophones et les nouveaux venu-e-s qui se sont intégré-e-s à la majorité francophone ont commencé à définir leur identité comme primordiale ment québécoise. Mais l’oppression nationale ne produit pas seulement l’opposition et la résistance, elle produit également l’écrasement, la désorientation et le ralliement à la nation dominante. Les Québécois-es francophones restent partagé-e-s entre des identités multiples : l’identité canadienne, l’identité canadienne-française et l’identité québécoise. Et cela d’autant plus, que la stratégie de la bourgeoisie canadienne n’a pas été une stratégie d’exclusion mais une stratégie d’assimilation des élites canadiennes-françaises.
Aujourd’hui, la nation québécoise se définit autour d’un mouvement pour l’indépendance du Québec. Il n’est donc pas étonnant, que la ligne de démarcation entre ces identités multiples suit une ligne de classe. La bourgeoisie québécoise est massivement fédéraliste et se définit comme canadienne, canadienne-française ou défend une position de multiplicité d’identités nationales. Mais lorsque la question devient un enjeu politique, son ralliement à l’État canadien est écrasant. Les travailleuses et travailleurs organisé-e-s dans le mouvement syndical sont massivement indépendantistes et se définissent comme Québécois et Québécoises.
Le mouvement souverainiste québécois, dirigé par le PO, est constamment miné par cette contradiction. Bien qu’obligé, pour asseoir sa domination sur le mouvement national, de se présenter comme le défenseur des aspirations nationales du peuple québécois, le PQ, dans une vaine tentative de construire son hégémonie chez la bourgeoisie québécoise, cherche à maintenir le .partenariat économique et politique. avec l’État canadien. L’illusion péquiste essentielle est que la lutte de la nation québécoise pour son indépendance peut se réaliser à l’ombre du maintien d’un État qui assure son oppression.
Qu’on retrouve dans les sondages, après des campagnes de peur à répétition des forces fédéralistes et des décennies d’éducation politique par le PQ de la nécessité de la souveraineté tranquille ; l’indécision et la peur de la rupture avec l’État canadien, cela n’est pas le fruit d’une sagesse atavique du peuple du Québec qui voudrait -être souverain dans un Canada fort. « Il suffit d’indiquer les causes probables du phénomène : confusion entre aspiration à une affirmation nationale et aspirations au pouvoir de la. nouvelle bourgeoisie québécoise, persistance d’une structure psychique intérieurement indécise, ambivalente et scindée, résultat de la domination ancestrale, rencontre du narcissisme compensatoire et de la peur du changement, glissement d’un nationalisme de libération audacieux et visionnaire à un nationalisme de gestion modéré et autosatisfait, entropie idéologique. (J.M. Vacher, Un Canabec libre, Liber, 1991)
Pour stratégie alternative au cul-de-sac péquiste !
L’indépendance, la rupture avec l’État fédéral, n’est pas le programme de la bourgeoisie québécoise. Le programme des secteurs nationalistes de la bourgeoisie, c’est, au mieux, l’autonomisme.
Pourquoi ? Parce que l’indépendantisme québécois a constitué la forme prise par l’indignation sociale des classes ouvrière et populaires contre l’oppression nationale et l’exploitation du grand capital et que le souverainisme péquiste n’est qu’un détournement de ces aspirations. C’est la remontée de la lutte de masse pour un nouveau projet de société égalitaire qui va relancer la lutte pour l’indépendance.
Constituer une identité nationale québécoise commune ne se fera pas d’abord par le ralliement des francophones mais par le ralliement autour d’un projet de société égalitaire de la majorité populaire luttant pour son indépendance. Cela n’est possible que si le peuple québécois, l’ensemble des personnes qui aspirent à vivre dans Québec indépendant, réussit à tirer un pouvoir politique réel de sa mobilisation se donnant ainsi un réel pouvoir d’attraction et son instrument politique, une organisation partidaire.
L’identité québécoise se définira dans cette perspective. comme l’intégration de tous les éléments égalitaristes apportés par chacun des peuples du monde dans la lutte contre le système d’exploitation capitaliste. Il en découle que l’intégration économique, politique et sociale des minorités ethniques au Québec passe par la lutte contre la surexploitation, pour le droit au travail et contre la discrimination sur toutes ces formes.
Lutter contre la marginalisation économique c’est lutter pour le plein emploi, c’est lutter pour la réduction massive de la semaine de travail sans baisse des salaires ; c’est créer les conditions juridique de l’élargissement de l’accès à la syndicalisation.
Lutter contre la discrimination linguistique, c’est définir une vraie politique de francisation de la langue. de travail pour l’ensemble des entreprises, et particulièrement pour les petites entreprises. La promotion du français comme langue nationale du Québec doit viser à l’intégration de tous et toutes à la vie d’une société démocratique, égalitaire et solidaire. Dans une société pluraliste, une langue commune facilite la participation de tous et toutes aux débats démocratiques.
En somme, lutter pour une véritable libération nationale, c’est le contraire d’une démarche natinaliste qui veut gommer les différences de classes et se servir des réalités identitaires pour protéger le statu quo social, C’est place placer la démarche de souveraineté populaire au coeur de la démarche indépendantiste.
Bernard Rioux