L’article que nous publions ici doit être mis en rapport avec la déclaration du président du Brésil, Lula. Ce dernier lors de son récent déplacement au Venezuela a déclaré qu’il « n’était pas de gauche ». Cette déclaration, qui aurait pu être interprétée comme une pointe d’ironie il y a encore deux ans, a suscité un débat au Brésil. En effet, elle entrait en écho avec le type d’orientation économique néo-libérale suivie, depuis janvier 2003, par le gouvernement Lula. Emir Sader a saisi la balle au bond pour tracer quelques limites élémentaires.
« On peut considérer comme étant de droite les forces qui se mettent au service des intérêts des personnes comblées. Les autres, ceux qui sentent et agissent du point de vue des pauvres, des condamnés de la terre, sont et seront toujours de gauche ». « De notre temps, tous ceux qui défendaient les peuples opprimés, les mouvements de libération, les populations affamées du Tiers-monde, étaient de gauche. Ceux qui, parlant dans leur propre intérêt, disent qu’ils ne voient pas pourquoi ils distribueraient cet argent qu’ils gagnent à la sueur de leur front, sont et seront, de droite ».
« Celui qui croit que les inégalités sont une fatalité et qu’il faut les accepter, qui pense que le monde a toujours été ainsi et qu’on ne peut rien y changer, a toujours été - et est toujours - de droite. De même, la gauche ne cessera jamais d’être identifiée avec ceux qui affirment que les êtres humains sont égaux, qu’il faut relever celui qui est par terre, tout en bas. Je crois que cette distinction existe, qu’elle continue à être fondamentale, et que même aujourd’hui elle sert encore à distinguer les deux côtés de la politique ».
Ces mots, prononcés par le philosophe italien Norberto Bobbio au cours d’un entretien avec Araujo Neto publié dans le quotidien Jornal do Brasil, constituent une définition synthétique, mais suffisante, pour caractériser la gauche et la droite, et pour en rappeler l’actualité. Identification avec ceux d’en bas ou avec ceux d’en haut. Avec les pays de la périphérie ou avec ceux du centre capitaliste. Avec les insatisfaits ou avec les conformistes. Acceptation de la fatalité de l’inégalité ou rébellion contre celle-ci. Naturalisation de la pauvreté ou lutte incessante pour la justice. Privilégier l’aspect financier ou l’aspect social. Universaliser les droits ou se contenter de concéder des chances (possibilités). Promouvoir les intérêts publics ou les intérêts du marché. Manifester sa solidarité ou sa complicité avec le marché. Promouvoir l’humanisme ou accepter un monde dans lequel tout s’achète et tout se vend. Choisir le multilatéralisme ou unilatéralisme. Utiliser la force ou privilégier des négociations politiques. Davos ou Porto Alegre.
Comme c’est méprisable d’être de droite - d’être du côté de Bush, par exemple - il arrive que ceux de droite prétendent qu’il n’y a plus de droite ou de gauche, ou alors qu’ils sont du centre. Mais ils ne cessent pas pour autant d’être de droite. Celui qui est de gauche s’assume comme étant de gauche, il s’inscrit dans une longue tradition de lutte pour l’égalité, pour la justice, pour la reconnaissance de différence, dans le combat pour une société plus juste et plus humaine, et il en est fier.
Aujourd’hui au Brésil, par exemple, être de gauche signifie affronter sans relâche au moins deux des pires héritages du gouvernement (de droite) de Fernando Henrique Cardoso : l’hégémonie du capital spéculatif, d’une part, et la précarisation du monde du travail, d’autre part. C’est la gauche qui s’oppose au capital spéculatif, qui se bat pour les droits du monde du travail, pour la redistribution de la rente, pour l’universalisation des droits. Est de droite celui qui défend les intérêts du capital financier, qui privilégie les principes du marché au détriment des droits de la grande masse de la population qui vit de son travail.
La gauche et la droite existent bel et bien, maintenant encore plus que jamais, dans un monde qui est polarisé entre richesse et misère, entre va-t-en-guerre et pacifistes, entre ceux pour qui les êtres humains ne sont que des consommateurs et les humanistes. Choisissez votre côté et battez-vous pour lui, sans cacher ses valeurs.
* Emir Sader est un sociologue très connu au Brésil. Il est un des animateurs du Forum social mondial de Porto Alegre
(tiré du site À l’encontre)