Tiré du site Europe Solidaire et sans frontières
12 février 2009
Face à la crise, la gauche oscille entre deux projets contradictoires : le retour aux Trente glorieuses et le dépassement du capitalisme. Il existe en même temps une ambiguïté paradoxale, en ce sens que tout le monde ou presque (à gauche) est aujourd’hui « keynésien » : la relance de la demande apparaît comme une réponse immédiate à la crise, et l’augmentation des salaires et des minima sociaux est une sorte de dénominateur commun.
Le retour au capitalisme régulé est pourtant hors d’atteinte. Pour des raisons économiques d’abord : l’absence de coordination des plans de relance européens montre que ce sera chacun pour soi. La crise va être le prétexte d’un blocage salarial accentué, dans l’espoir de soutenir l’activité par une compétitivité accrue. Toutes les tares constitutives de l’Europe néo-libérale sont mises à nu : pas de politique de change, pas de budget, et interdiction faite à la Banque centrale européenne d’émettre des emprunts. L’ampleur actuelle ou à venir des déficits budgétaires va poser des problèmes de financement des Etats et creuser les différentiels de taux d’intérêt entre les pays.
Mais fondamentalement la question est politique : il faudrait, pour re-réguler le capitalisme, un degré d’affrontement que les re-régulationnistes ne sont pas prêts à envisager. Prenons un exemple concret emprunté au contre-plan du PS qui propose à la fois d’augmenter le Smic et de baisser la TVA. Comment ne pas voir que la combinaison de ces deux mesures est une sorte d’encouragement au vice ? Les entreprises prendraient évidemment prétexte de la hausse de leur coût salarial pour ne pas répercuter la baisse de TVA dans leur prix, de manière à conserver leur taux de marge. La seule manière pour qu’il en soit autrement serait de contrôler le comportement des entreprises. Le même raisonnement vaut pour les aides apportées aux banques et, de manière générale, pour tous les plans de relance. Ces derniers risquent bien de ne pas fonctionner mais une chose est sûre en tout cas : aucun plan de ce genre ne peut spontanément imposer de nouvelles règles de fonctionnement au capitalisme. Et ce n’est pas un problème de taille : ni les 50 milliards du PS, ni les 100 milliards du PG ne peuvent suffire à contourner l’obstacle.
Tout le monde, ou presque, s’accorde aussi pour dire que la question du « partage des richesses » est centrale. Mais, pour certains, ce mot d’ordre serait sous-dimensionné et s’opposerait à « la maîtrise des conditions de leur production ». François Chesnais invoque la Critique du programme de Gotha où Marx explique que c’est « une erreur de faire tant de cas de ce qu’on nomme partage » parce que « la répartition des objets n’est que la conséquence de la manière dont sont distribuées les conditions de la production elle-même » [1]. La difficulté est réelle : comment avancer des réponses immédiates à la crise tout en ouvrant une perspective alternative ? Toute la question est de construire des médiations entre ces deux objectifs plutôt que de les opposer l’un à l’autre.
C’est autour d’une perspective de contrôle démocratique que l’on peut jeter un pont entre mesures d’urgence et projet alternatif. Elle établit une claire ligne de partage entre renflouement et dépassement du capitalisme. Cela signifie d’abord contrôle sur l’usage de l’argent public injecté dans les banques et sur les mouvements de capitaux. Ensuite, contrôle sur l’emploi dans les entreprises : interdiction des licenciements et partage du travail. Enfin, contrôle sur le partage des richesses : salaires et budgets sociaux contre dividendes et rentes d’Etat. Les choses sont alors plus claires puisqu’il s’agit de pistes que se refusent à emprunter les libéraux au pouvoir, évidemment, mais aussi les sociaux-libéraux. Cela permet aussi de mieux définir les formes de revendications à mettre en avant, par exemple droit de veto sur les licenciements, droit de veto sur les dividendes et les aides publiques. C’est l’esquisse d’une stratégie fondée sur cette hypothèse : si un contrôle des travailleurs s’établit sur le « partage des richesses », il ne s’arrêtera pas là et posera inévitablement la question des « conditions de la production elle-même ». Si mouvement social il y a, il saura combiner dialectiquement ces deux cibles.
HUSSON Michel