La conférence de Hong-Kong doit échouer. Son succès signifierait en effet un nouvel asservissement des peuples du monde à la loi de la marchandise et du profit. D’abord dans les pays du Sud : l’enjeu est d’obtenir qu’ils s’ouvrent encore plus aux multinationales. En échange, les pays riches s’engagent à baisser les aides et subventions agricoles. Mais c’est un marché de dupes : ils n’ont en effet aucune intention d’abandonner vraiment leurs aides à l’agriculture, et l’Europe triche ouvertement en continuant à protéger les secteurs dits sensibles, comme le lait ou les céréales. Les Etats-Unis et l’Europe s’opposent aux gros exportateurs du Sud (le groupe de Cairns emmené par l’Argentine et l’Australie). Ils apparaissent divisés sur cette question (y compris à l’intérieur de l’Europe) et ils ne réussiront sans doute pas à convaincre l’ensemble des pays du Sud. Et ce serait très bien, parce que la libéralisation du commerce aggrave la situation de la faim et de la pauvreté, notamment en faisant chuter les cours mondiaux dans de nombreux secteurs : riz, banane, lait, volaille, sucre, coton, etc. Elle détruit ainsi des pans entiers de l’agriculture traditionnelle et la sous-alimentation est proportionnelle au degré d’ouverture, comme vient de l’établir une étude de la FAO. L’alternative à ce désastre passe par le droit à la souveraineté alimentaire et à la protection de l’agriculture paysanne et par des mécanismes de soutien et de régulation des marchés agricoles mondiaux.
24 organisations et associations (Attac, CADTM, Confédération Paysanne, FSU, Greenpeace, Ligue des droits de l’Homme, Unef, Union syndicale Solidaires, Vamos, etc.) mènent une campagne « OMC : 10 ans, ça suffit ! ». Leur appel demande un moratoire sur les négociations, afin d’évaluer les effets économiques, sociaux et environnementaux de la libéralisation des échanges. Mais ceux-ci sont bien connus, car c’est la possibilité même de répondre aux besoins sociaux que la libéralisation met en péril. Il faut donc retirer à peu près tout du champ de l’AGCS, à commencer par ces biens publics essentiels : l’eau, la santé, l’éducation, la culture et le logement. Il faut de même retirer du champ des négociations NAMA (produits non agricoles) tous les produits issus des ressources naturelles, en particulier les produits du bois et de la pêche.
Chaque pays doit avoir le droit de définir le périmètre de ses services publics et de les soustraire aux règles de la concurrence. L’accès effectif de l’ensemble de l’humanité aux médicaments contre le sida, la malaria ou la tuberculose, est une priorité qui doit s’imposer à la « propriété intellectuelle » qui ne sert qu’à protéger les profits de l’industrie pharmaceutique. Il faut, comme l’avance aussi la campagne, proscrire le brevetage du vivant (plantes, animaux, micro-organismes et gènes) et affirmer le respect systématique du principe de précaution en matière d’environnement, de santé publique et d’alimentation.
En demandant une « renégociation du mandat de la Commission européenne à l’OMC », l’appel des 24 met le doigt sur un point essentiel, à savoir le forcing de l’Union européenne pour modifier les règles de négociation. Jusque là, chaque pays fait des « offres », et on échange l’ouverture d’un service contre l’ouverture d’un autre. Bien entendu, ce caractère « volontaire » est formel, compte tenu des énormes pressions exercées par les pays impérialistes. Mais la nouvelle procédure dite de benchmarking conduirait à une logique encore plus contraignante. Elle fixerait un seuil minimum de libéralisation des 163 sous-secteurs de services de l’AGCS : 93 pour les pays « en développement », 139 pour les pays développés. Le nombre de sous-secteurs pouvant être déclarés « sensibles », et être sortis du champ de l’AGCS, serait limité à 18 % de ces 163 sous-secteurs pour les pays développés et à 10 % pour les pays « en développement ».
En rendant ainsi obligatoire ce qui était en principe volontaire, ce nouveau dispositif limiterait encore plus l’autonomie de décision des pays du Sud. Mais il aurait aussi pour effet d’inverser les rapports entre l’AGCS et l’Union européenne. Jusqu’ici, celle-ci ne proposait l’ouverture de services que s’ils avaient déjà été libéralisés au niveau européen. En ce sens, aucune directive européenne n’a pour l’instant été prise en raison des engagements vis-à-vis de l’AGCS. Mais les choses pourraient changer, puisqu’il faudrait dorénavant libéraliser 93 secteurs sur 139 (avec pas plus de 18 % de secteurs « sensibles ») en raison de cette règle que l’Union européenne se serait imposée à elle-même à travers l’OMC. Le combat contre l’OMC nous concerne donc doublement : il permet de construire la solidarité avec les peuples soumis au joug de notre propre impérialisme, mais aussi de prolonger notre mobilisation pour une autre Europe. En ce sens, un nouvel échec de l’OMC à Hong-Kong serait pour nous une victoire.
(tiré de Rouge, journal de la LCR)