La crise actuelle complique les projets de la classe dominante. Elle contraint d’abord le pouvoir politique à théâtraliser un pseudo-divorce avec le patronat et à substituer un discours "moralisateur" au discours "décomplexé". Surtout, au-delà des belles paroles, la classe dominante navigue à vue, tiraillée entre deux stratégies qui s’exprimeront lors du sommet du G20 le 2 avril.
D’un côté certains, comme l’économiste en chef de l’OCDE, Klaus Schmidt-Hebbel, estiment que « la débâcle dans le secteur financier ne remet pas en question les effets bénéfiques des réformes recommandées des marchés de produits et du marché du travail ». De fait, le G20 ne traitera que du secteur financier. Et derrière la vieille rengaine de la compétitivité et de la flexibilité, il y a l’injonction à se mettre en ordre de bataille pour la reprise en 2010. En France, l’accroissement des déficits induit par la crise sert indirectement de justification à la RGPP (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux) où aux attaques contre l’hôpital public (loi Bachelot). L’économiste sarkozyste Nicolas Baverez n’écrivait-il pas cet automne que « le libéralisme est le remède à la crise » (Le Monde, 15/10/08) ?
D’un autre côté, l’inquiétude gagne la classe dirigeante. Non seulement l’incertitude est grande concernant la reprise, mais les prévisions pour 2009 sont continuellement revues à la baisse. Par exemple en Allemagne, le Ministère de l’économie, qui déclarait en janvier que la contraction du PIB serait de l’ordre de 2,25% en 2009, reconnaît aujourd’hui que ce diagnostic est dépassé. La Commerzbank (2ème banque du pays) estime même que le PIB pourrait y reculer de 7%. De son côté, le FMI a indiqué, dans une note préparatoire à la réunion du G20, qu’il prévoit désormais une baisse du PIB mondial comprise entre 0,5 % et 1 %. La contraction serait de 2,6 % aux USA, et de 5,8 % au Japon. La classe dominante est en train de prendre la mesure d’une crise générale, systémique.
Alan Greenspan, l’ancien Président de la FED, a prévenu, dans un entretien accordé au Financial Times, que la nationalisation du système bancaire américain sera nécessaire. Alors qu’il jubilait avant la crise parce que « l’hyper-capitalisme est hyper-sympa » (Le Monde, juin 2007), le journaliste ultralibéral Eric Le Boucher déchante et lance un appel à l’aide : « le système financier occidental est sur le point de mourir. Il est donc temps que les gouvernements prennent la mesure de cette dépression qui vient, adoptent des plans de sauvetage monstrueux et, probablement, nationalisent l’ensemble des banques mondiales, ou presque » (Les Echos, 13/01/09). De même, Jacques Attali, qui souhaitait en novembre 2008 « que les champions de la finance puissent s’exprimer et influencer » les autorités de régulation, insiste à présent sur le risque d’effondrement général1.
Ces déclarations résument bien le désarroi de la bourgeoisie. Dans ces conditions, certains essayent de jouer les sauveurs suprêmes. Dans une lettre ouverte à ses « amis de la classe dirigeante » (Le Figaro, 23/03/09), Alain Minc leur prodigue ses bons conseils non sans avoir rappelé avec lucidité : « nul ne peut me soupçonner d’être votre ennemi ». Il appelle le patronat à la modération (« mesurez-vous que le pays a les nerfs à fleur de peau ? ») et rappelle les vertus de la collaboration de classe : « les syndicats essaient de canaliser tant bien que mal le mécontentement et donc de préserver l’ordre social. » Ne cachant pas son mépris pour « le grondement populiste », Minc se garde bien de rappeler que l’explosion des inégalités est à l’origine d’une crise de surproduction ! Quand bien même le patronat écouterait les appels de son laquais à prendre garde au « poids des symboles », quand bien même le G20 prendrait quelques mesures pour la « transparence » et la « surveillance » des marchés financiers, cela ne peut suffire à faire repartir ce système fondé sur l’exploitation.