Tiré de Rouge n° 2267, 25/09/2008
On peut aujourd’hui tirer le bilan de la phase de la campagne présidentielle américaine qui s’est déroulée entre la fin du processus d’élections primaires et les conventions nationales des deux grands partis. Cette phase n’a pas fait disparaître les contradictions des campagnes de Barack Obama et de John McCain, pas plus que celles de la société, mais elle a vu les candidats préciser leur discours politique.
Glissement à gauche de la société, glissement à droite d’Obama après les primaires, remontée de McCain dans les sondages, retournement de cette tendance il y a quelques jours… Difficile de tirer des conclusions dans une société aussi vaste, divisée et peu structurée par le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux. Comme cette campagne a peut-être dépassé toutes les autres dans son utilisation des symboles et des mythes, il faut revenir aux éléments les plus tangibles.
Changement en trompe-l’œil
Parmi les rares initiatives visant à faire de la campagne démocrate une campagne de « progrès », il existe un appel intitulé « Progressives for Obama » (« Les progressistes pour Obama »1), rassemblant des personnalités syndicales, militantes, intellectuelles et politiques. Ce groupe dénonce certaines illusions sur Obama, accusé d’être souvent « centriste ». Il revendique son indépendance et sa volonté d’organiser un « pôle » progressiste « par en bas ». Cependant, son point de départ est le soutien à Obama, et non la nécessité de mobiliser sur les revendications des « progressistes », d’ailleurs mal définies.
Un mythe est bien mort en tout cas, celui d’une candidature portée par un mouvement populaire. Certes, la popularité semble rester forte, même dans cette phase où l’on manque d’indices clairs, et la participation au vote promet d’être importante. Mais il n’y a pas, derrière lui, un mouvement populaire organisé. Les mobilisations sociales faiblissent, comme il est d’usage l’année de l’élection, et les actions collectives liées aux élections n’ont rien d’extraordinaire. Certains signataires le reconnaissent, tout en prétendant encore construire un mouvement sur ces bases, très mal définies.
Il est révélateur que leur blog contenant l’appel mette en avant une photo d’Obama lors d’une manifestation antiguerre de 2002 et son discours ce jour-là. Tout cela remonte avant son élection au Sénat, qui a clarifié pour de bon son attachement aux intérêts de l’impé-rialisme. Concernant l’Irak, son impérialisme « pragmatique » et ses louvoiements sur des questions de détails concernant la présence des forces américaines ont fait de lui le candidat idéal pour sauver la stratégie des États-Unis dans le monde, que la classe dirigeante peine à définir. Après s’être prononcé contre la guerre en Irak en 2002, il va aujourd’hui jusqu’à déclarer, à un chroniqueur ultraréactionnaire de Fox News, que l’envoi de troupes supplémentaires en Irak, décidé par Bush et toléré par les démocrates après leur victoire aux élections intermédiaires de 2006, était un succès – qu’il a aussitôt qualifié de surprenant, pour faire bonne mesure avec ses doutes exprimés à l’époque.
Soutenir Obama et chercher à le tirer vers la gauche est chose plus difficile que jamais. Mi-août, Obama et McCain étaient invités par Saddleback, l’une des plus célèbres Églises évangéliques. Le discours d’Obama, devant une foule très conservatrice, a été l’occasion de se vanter de toutes les occasions où il a voté comme les républicains et d’étaler ses propositions réactionnaires (comme le salaire au mérite pour les professeurs). Un tel positionnement à droite ne l’empêche pas de brandir l’étendard du changement. Il est capable de moduler son discours au fil du temps et en fonction du public qui l’écoute ; le changement consiste, aux États-Unis, à savoir trouver des compromis avec l’autre parti ou les adversaires quand c’est nécessaire.
Retour de flamme
Le mythe du changement est de ceux qui renaissent de leurs cendres et la bourgeoisie en a bien besoin en ce moment. Dès 2006, elle paraissait déjà en mal de stratégie politique, notamment extérieure. Aujourd’hui, avec la crise économique, son désarroi est global, à l’heure où l’ancien directeur de la Banque fédérale des États-Unis affirme que la crise financière est un événement comme il n’y en a qu’une fois par siècle. Mais le bon vieux slogan du changement ne suffira pas à faire illusion longtemps, même si la situation actuelle est trop confuse pour pronostiquer si la victoire d’Obama sera large ou, au contraire, si le mythe Obama est en train de mourir pour ceux qui l’ont soutenu jusqu’ici. La crise pourrait renforcer l’insatisfaction vis-à-vis du bilan de George W. Bush, dont John McCain et sa colistière Sarah Palin vont avoir du mal à se détacher.
Sarah Palin s’est quasiment ridiculisée en montrant son ignorance de la doctrine Bush lors d’une interview télévisée, ce qui est, en un sens, un point commun de plus entre cette ultraréactionnaire et Bush lui-même, qui a parfois revendiqué une certaine méconnaissance du monde et de la politique étrangère. Pour connaître les points communs de McCain avec Bush, il suffit de constater qu’il a voté dans 90 % des cas en faveur de sa politique. Auprès d’un certain électorat, c’est un gage de patriotisme et de proximité avec les « vrais Américains ». Sur tous les points politiques d’actualité, égaux à eux-mêmes, les démocrates tempèrent souvent leurs critiques, avec cette année le soutien majoritaire des capitalistes.
Comme la crise économique, d’autres phénomènes vont revenir sur le devant de la scène après l’élection, voire avant. Parmi eux, l’immigration, dossier qui divise les politiciens comme la société et sur lequel la crise économique aura des retombées. Le racisme, lié à l’immigration mais concernant aussi les Noirs, reviendra aussi, malgré les efforts d’Obama et d’une large part de ses soutiens. Les républicains redoublent d’ailleurs d’allusions racistes, parfois calquées sur certaines déclarations d’Hillary Clinton. Le candidat démocrate n’est pas plus offensif sur ce dossier que sur les autres, face à la droite radicale, et il craint même de susciter trop d’espérances qu’il ne pourrait que décevoir.
Il ne s’agit pas ici de minimiser l’événement que serait l’élection du premier président noir, mais bien de démystifier la victoire possible d’Obama. Le mythe le plus tenace chez les travailleurs des États-Unis est qu’« une fois élu, Obama va troquer son masque centriste pour une politique en notre faveur ». Aujourd’hui, la configuration électorale n’offre pas vraiment d’antidote à cette illusion, mais il est déterminant d’organiser les solidarités et les mobilisations, pour que le président, quel qu’il soit, n’ait pas les mains libres. Sinon, le retour de flamme raciste et conservateur n’en sera que plus violent. ■
Simon Marceau