Dans un article intitulé « La récession mondiale : moment, interprétations et enjeux de la crise » [1], François Chesnais critique l’interprétation en vogue de la crise en cours comme une crise de sous-consommation causée par une contraction des salaires qu’on se serait efforcé de compenser par une forte expansion du crédit. Il traite en particulier de la variante de cette interprétation présentée par Alain Bihr dans un article intitulé « Le triomphe catastrophique du néolibéralisme » [2] et exprime son désaccord avec la thèse d’une « plus-value en excès » qu’y développe Bihr. Il la caractérise comme un renversement complet de la compréhension du capitalisme héritée de Marx, selon laquelle le capital se heurte non pas à un excès mais à une insuffisance chronique de plus-value dont la tendance à la baisse du taux de profit est la manifestation.
Le fait que cette pénurie de plus-value soit perçue sous la forme de difficultés de réalisation « traduit une cécité face aux contradictions du système », écrit Chesnais, qui renvoie à mon livre Fondements et limites du capitalisme[3] pour « une présentation très claire de ces contradictions et de cette cécité ». Fort sensible à cette référence élogieuse, je me suis senti invité à relever le défi de faire un exposé synthétique des développements pertinents de ce livre afin de contribuer au débat. C’est le but du présent article. Il comporte trois sections.
La première établit que les crises telles que comprises par Marx sont des crises de suraccumulation de capital et de surproduction de marchandises et non des crises de sous-consommation dont l’origine se trouverait dans l’insuffisance des salaires. La deuxième montre que la crise actuelle est bien une crise de surproduction et que sa dimension financière ne saurait se réduire à une question de crédit aux ménages venu compenser des revenus salariaux insuffisants. La troisième pose la question suivante : si l’origine des crises ne se trouve pas dans la sous-consommation, leur résorption peut-elle reposer sur la stimulation de la demande globale, qui est au centre des plans de relance actuels des gouvernements ? La réponse à cette question, qui découle de la nature improductive pour le capital des dépenses publiques, permet de comprendre la timidité des plans de relance de l’économie réelle et les hésitations à les mettre en œuvre, alors que le secteur financier a spontanément bénéficié d’une colossale générosité.