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La laïcité : définition, enjeux, pièges et promesses

mardi 18 août 2009

La laïcité : définition, enjeux, pièges et promesses
Pourquoi parler de laïcité maintenant au Québec ?
mardi 9 septembre 2008, par Bernard Rioux

Tiré du site ’’Presse-toi à gauche’’


La période actuelle est caractérisée par une offensive généralisée du capital contre les acquis des masses dans les pays occidentaux et par une volonté de reconquête coloniale qui a actuellement comme centre la bataille impérialiste menée au Proche-Orient. Les discours laïques (polysémiques) resurgissent dans ce nouveau contexte marqué par les conflits en Palestine, au Liban, en Irak et en Afghanistan et la nature de la résistance à cette offensive. Les discours autour de la laïcité reprennent le devant de la scène alors que se développe l’islamophobie qui sert à couvrir l’objectif de reconquête coloniale de cette partie du monde.

On assiste à une profusion de discours laïques dont certains manifestent le développement d’un laïcisme régressif dont il faut savoir se démarquer tout en ne rejetant pas globalement l’importance du combat laïque porteur de défense d’un pluralisme démocratique sachant ménager les alliances nécessaires au sein des diverses composantes des classes dominées de la société.

Une définition provisoire de la laïcité dans sa double réalité

D’emblée le mot laïcité renferme un double sens. En effet, le mot laïcité désigne la cohabitation de toutes les croyances d’une part et une forme de croyance à l’exclusion de toutes les autres d’autre part. Le premier sens est celui de la laïcité politique. La laïcité, c’est la liberté de conscience, la liberté des hommes et des femmes à une religion ou à des convictions philosophiques. L’État doit être libre d’élaborer des normes collectives sans qu’une religion ou une conviction particulière domine le pouvoir et les institutions publiques. La laïcité suppose donc une séparation des Églises et de l’État et la neutralité de l’école publique en est une conséquence. La transmission des traditions religieuses doit donc relever des parents et des institutions religieuses. La démocratie représentative est précisément l’organisation de cet espace public où les religions n’ont plus de pouvoir institutionnel, mais où les idées et les convictions religieuses peuvent évidemment être défendues. La laïcité permet donc d’affirmer la neutralité religieuse de l’État et de ses institutions.

Un État est laïc s’il reconnait aucun privilège à une religion ou à une option philosophique en particulier prévoit la cohabitation des cultes au sein de la société dans le respect du droit commun. Dans ce sens, il peut y avoir des croyants laïques. Ainsi selon cette conception de la laïcité un État se définissant comme athée n’est pas un État laïque mais un État qui se définit comme partisan d’une position philosophique précise. L’objectif de la laïcité politique est de limiter le pouvoir des églises et d’assurer la primauté de la loi civile sur la loi religieuse. Elle ne vise pas à limiter la liberté individuelle des croyants dans la sphère publique.

La laïcité politique permet la liberté des cultes, y compris leur libre exercice de leur manifestation publique, sauf lorsqu’il peut entraver l’ordre public. La laïcité politique nécessite donc que l’État assure un traitement impartial de tous les citoyens et citoyennes indépendamment de leurs convictions religieuses ou philosophiques.

La laïcité politique n’est donc pas une philosophie antireligieuse. Elle doit permettre la confrontation pluraliste des croyances et des idées. Elle doit défendre le droit de critique de la religion et le droit d’abandonner une religion, d’en avoir une ou de ne pas en avoir. La laïcité politique doit permettre de rallier les croyant-e-s dans leurs luttes contre le pouvoir théocratique des clergés qui ont tendance à développer le clientélisme, l’enrichissement personnel et l’autoritarisme. On peut affirmer que la laïcité (comprise comme la non-domination des pouvoirs cléricaux sur les institutions politiques) est largement répandus et que peu d’États peuvent aujourd’hui être définis comme des théocraties ou des États où les pouvoirs cléricaux dominent. Des États qui reconnaissent des religions comme des religions d’État (anglicanisme par exemple) mais cela ne traduit pas un réel pouvoir des autorités religieuses. La laïcité est plus ou moins réalisée par rapport à son idéaltype. Il y a encore des combats à mener au niveau de la laïcité.

La laïcité philosophique

Mais, il y a aussi la laïcité compris dans un sens philosophique. La laïcité philosophique est caractérisée par le refus de toute référence à une vérité révélée ou à l’existence d’entité « surnaturelles ». Cette laïcité adhère à une vision du monde et une philosophie dégagée de toute référence à une transcendance.

La laïcité philosophique refuse le pouvoir de la religion qui désapproprie les sociétés sur leur organisation, leur pouvoir et leur destin pour les confier à des forces transcendantes, surnaturelles. Cette prise de position est directement issue, de la philosophie des « Lumières » et de la lutte laïque contre le catholicisme antimoderne la fin du XIXe siècle en France, catholicisme qui voulait l’organisation catholique de l’ensemble de la société et l’attribution à l’église d’un pouvoir de définition de la morale et des normes.

En plus de s’inscrire dans la tradition des Lumières, c’est contre cette prétention de l’Église catholique que se sont construites les valeurs laïques : l’affirmation de l’origine humaine et non divine de l’autorité politique, la supériorité du discours rationnel, de la liberté de recherche scientifique et du libre examen des situations menée en dehors de tout dogme et de toute révélation ; et surtout la supériorité d’un morale de la responsabilité des êtres humains envers leurs actions face à une morale fondée uniquement sur la crainte de la divinité. La morale laïque est supérieure car elle seule permet justement la tolérance entre les religions.

C’est ainsi qu’une telle philosophie peut se matérialiser par le soutien à un athéisme ou à un agnosticisme militant. La lutte philosophique du marxisme pour une conception matérialiste de l’histoire s’inscrit également dans cette logique.

La laïcité politique sous tension : entre la laïcité républicaine et la laïcité ouverte

La laïcité républicaine

La laïcité républicaine, aucune Église, aucune religion, aucun groupe ne doit imposer ses normes de vie à l’état et à la société. L’État ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucune religion. Et l’État laïque s’accommode mal de l’idée suivant laquelle l’initiative en matière de valeurs morales pourrait être en quelque sorte entièrement absorbée par la société.

La laïcité républicaine s’appuie sur une « morale laïque ». Celle-ci est formée par les valeurs partagées, au fondement du lien social démocratique et républicain. La laïcité républicaine sépare cette morale laïque des morales convictionnelles, religieuses ou non. La morale laïque doit permettre à des individus qui pensent différemment à propos du sens ultime de la vie (et de bien d’autres choses) de se rassembler dans une communauté citoyenne. Toutes les conceptions de la vie (hormis celles qui briment les droits d’autrui) méritent la même protection de la part de l’État.

La morale laïque est par nature incomplète – elle laisse ouverte le sens ultime des choses- et cette grâce à cette incomplétude qu’elle désacralise, désabsolutise et conjure tout risque de fanatisme. Dans la laïcité républicaine, la morale ne tire pas une plus grande légitimité de son arrimage à une religion particulière.

Rejeter le religieux dans le privé, c’est le sortir de la responsabilité de l’État. Cela veut dire que la laïcité républicaine admet l’incapacité de l’État d’intervenir dans la culture interne d’un groupe. Ainsi comment obliger un groupement religieux, l’Église catholique par exemple, a avoir un clergé féminin sans déroger à la séparation de l’Église et de l’État ? Ce serait rompre complément avec le pluralisme démocratique ? Mais pour la laïcité républicaine, le pluralisme n’égale pas relativisme et le respect de la diversité n’implique pas l’indifférence à l’endroit de la manière dont la culture traite les rapports entre les hommes et les femmes par exemple. Et pour questionner la culture de groupe sur l’égalité de genre de façon démocratiques, les institutions politiques doivent avancer dans le respect de la parité, de l’égalité des salaires, la garantie à l’individu du droit au contrôle de son corps…

Mais en dehors de ce que l’État démocratique peut légitimement imposer, les changements purement internes aux groupes, aux religions et aux convictions seront l’oeuvre des membres des groupes eux-mêmes, aidés, peut-être, mais seulement aidés ou influencés par la logique de la société globale qui fera des femmes les égales des hommes dans la vie publique. Mais ni l’État ni la société globale ne peuvent se substituer à ce combat interne. Les orientations culturelles dominantes doivent être l’objet d’accommodements.

La laïcité ouverte

Les pays capitalistes avancés sont dits laïques au sens où ils respectent la liberté religieuse et qu’ils n’exercent pas une discrimination légalement reconnu pour une raison religieuse. Mais, au niveau international, nul texte, si ce n’est en France n’impose aux pays une séparation stricte et n’interdit par exemple la rémunération des ministres du culte. Dans certains États (Angleterre, Danemark, Grèce) une religion est même, à un titre ou à un autre officielle. Cela n’empêche pas que les pays soient laïques au sens large car ils respectent la liberté de conscience, d’expression, de culte, d’association, d’enseignement) … Les pays sont « sortis de la religion » dans le mesure où nulle part dans les pays capitalistes avancés il n’y a plus de pouvoir des confessions dans l’État. Il y a retrait de la religion du politique, c’est-à-dire la fin de la confusion entre une croyance particulière et la « chose de tous »....

Une interprétation purement libérale de la laïcité s’en tient à cette idée d’un État arbitre garantissant les grandes libertés de conscience, de culture, d’enseignement et d’association, bref laissant agir pleinement les membres de la société civile. L’État ne doit pas être le porteur d’aucune conception du bien commun, et ne pas se transformer en État redistributeur, (welfare state) c’est-à-dire vouloir résoudre la question sociale, laquelle devrait, selon cette conception, essentiellement relever de la société civile.

La laïcité ouverte a été le discours élaborée par le catholicisme lors de son ralliement à la laïcité. Quand les adversaires d’un combat s’y rallie, il n’est pas étonnant que ce ralliement porte une volonté d’en atténuer la portée. La liberté religieuse prime la laïcité séparation, ce qui correspond d’ailleurs à la situation de la plupart des pays d’Europe et reflète l’état présent du droit international… Pour la laïcité ouverte, il n’y a aucun problème aux subventions aux écoles privées et confessionnelles. La formation religieuse dans l’école publique pourvu qu’elle ne soit pas exclusive à une confession ne pose pas de problème. Plus une culture religieuse est préféré à la culture laïque comme fondement de la morale publique. On reconnaître très bien ici le discours de Sarkozy qui parle de laïcité positive et qui soutient la supériorité de la morale inspirée de convictions religieuses sur celle inspirée de la morale laïque.

Le danger d’une telle laïcité, c’est qu’elle puisse constituer une ouverture à une recolonisation du public (institutions politiques) par le religieux. Ainsi aux États-Unis, les fondamentalistes veulent introduire dans l’enseignement public un cours optionnel de biologie créationniste (destin intelligent) au nom du pluralisme et de la liberté de choix. Ils demandent simplement que les deux faces de la médaille soient considérées. En Europe, les négationnistes (qui nient l’existence de l’holocauste) demandent l’enseignement de leurs thèses au nom de la déontologie scientifique, s’appuyant encore sur une laïcité identifié au pluralisme.

S’il est indéniable que la laïcité doit se dégager d’un combat antireligieux qui date du temps de l’Église refusait les libertés publiques (donc la séparation avec l’État) il n’en reste pas moins que le mouvement de balancier peut aller trop loin dans l’autre sens, en redonnant aux Églises une position politique qu’elles avaient perdue, en permettant une sorte de recolonisation rampante de la sphère publique par la sphère de la société civile. Une société composée d’atomes privées été de consommateurs et/ou de communautés simplement coexistantes constituent un danger fondamental pour la citoyenneté, c’est-à-dire la participation responsable de chacun-e à la chose de tous et toutes. Le combat pour la laïcité politique véritable, républicaine est un combat pour la défense d’un lien politique véritablement citoyen. C’est un combat essentiel s’inscrit...

C’est là tout le sens de la démarche laïque de l’école. L’école laïque se fixe comme objectif de construire sa représentation du monde et le sens de sa propre existence par le dialogue avec des bâtisseurs d’autres sens dans un effort constant pour interroger, contredire, dépasser et asseoir ses évidences et convictions du moment. L’approche est une ouverture à ce que des humains différents vivent à nos cotés afin de se persuader qu’il y a et qu’il aura toujours d’autres possibles. La neutralité de l’école laïque ne vise pas à priver les individus de leurs libertés individuelles y compris leur liberté de religion. Elle a pour mission de garantir la diversité culturelle ou cultuelle et non de l’interdire. La neutralité est donc un devoir qui s’impose à l’autorité publique mais aussi un droit qui profite aux citoyens et citoyennes. Elle exige de l’État de ne pas influencer ou de montrer la moindre préférence pour l’une ou l’autre conviction religieuse ou philosophique.

Dans ce sens le cours Éthique et culture religieuse manque complètement à ce devoir de neutralité (Voir Presse-toi à gauche, texte sur le cours Éthique et culture religieuse) comme le financement public des écoles privées à vocation religieuse participe d’une rupture avec une laïcité véritable.